Le droit d’être entendu : un soufflé essoufflé ?

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01/12/2017
Transport - Douane

De mieux en mieux ancré dans les meurs, le droit d’être entendu fait encore parfois défaut en pratique comme en témoigne une décision de la cour d’appel de Chambéry du 2 novembre 2017.
Principe général du droit, inscrit depuis 2000 dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, repris à l’article 22, § 6, du Code des douanes de l’Union (CDU), le droit d’être entendu (DEE) a eu du mal à trouver sa place au sein du contentieux douanier. Il a fallu attendre l’arrêt Sopropé de la CJUE du 18 décembre 2008 affirmant, en tant que de besoin, l’application du droit d’être entendu aux procédures douanières, pour que les juridictions françaises donnent enfin gain de cause aux plaideurs agacés par les redressements précipités de l’Administration des douanes française. Lasse de perdre un à un ses procès au motif du non-respect du droit d’être entendu, l’Administration douanière s’est depuis astreinte à une certaine discipline : elle s’est obligée à espacer ses écrits et à prendre le soin de répondre aux plaignants, mettant même ces pauses forcées à profit pour peaufiner son argumentaire. Avec le temps, la « mécanique » du jeu du droit d’être entendu a été tellement bien réglée par l’Administration qu’il est devenu rare de voir ses procédures de redressement annulées sur le fondement de la violation de ce droit.
 
L’arrêt ici rapporté traite un cas en apparence banal : un représentant en douane redressé a posteriori qui soulève l’irrespect du droit d’être entendu ; le juge déboute l’opérateur en estimant que l’Administration a fait ce que le droit exige d’elle en invitant ce dernier « à faire valoir ses observations écrites au service dans un délai de trente jours ». Pourtant, une lecture attentive des faits révèle une incohérence de taille passée inaperçue entre le respect apparent du droit d’être entendu et la réalité comptable du sujet.
 
Il apparait, en effet, que l’avis de résultat de contrôle adressé au représentant en douane concerné, lui annonçant l’intention de l’Administration de le redresser et lui indiquant le délai de trente jours dont il dispose pour faire part à l’Administration de ses observations écrites sur le sujet a été posté… le même jour que l’Administration a porté le montant de la dette estimée sur ses registres comptables. Or, de deux choses l’une : soit l’Administration accorde au justiciable la possibilité de débattre de la décision qu’elle s’apprête à prendre à son encontre et envisage que les arguments qu’il avance puissent la persuader de renoncer à redresser, soit la décision de redresser de l’Administration est déjà prise de façon irrévocable et le délai de trente jours imparti à l’opérateur pour fournir ses « observations écrites quant au résultat du contrôle afin de permettre à l’Administration de statuer sur les suites à y donner » est un pur artifice procédural !
 
Rappelons que les articles 218, § 3, et 221 § 1, du Code des douanes communautaire, repris par les articles 102, § 3, et 105, § 3, du CDU, obligent les Administrations douanières à « prendre en compte » (i.e. à porter dans ses registres comptables) les droits de douane identifiés lors des contrôles a posteriori comme étant exigibles, dès qu’elles « sont en mesure de déterminer le montant des droits à l'importation ou à l'exportation exigibles et d'arrêter une décision en la matière ». Or, l’Administration des douanes ne peut décider du montant de la dette, ni de l’identité de son débiteur, qu’après avoir entendu la personne à qui elle projette de notifier la dette sur le principe du redressement et sur son quantum par le biais du « droit d’être entendu ». C’est seulement si les observations produites par la personne concernée en réponse à cette interrogation, contenue le plus souvent dans l’avis de résultat de contrôle, ne convainquent pas l’Administration que cette dernière peut prendre une décision sur l’existence et le quantum de la dette évoquée et procéder à l'inscription de son montant dans ses registres comptables en émettant une liquidation supplémentaire.
 
La « mécanique » du jeu du droit d’être entendu semble donc connaître des « défauts de fabrication » et la vigilance est à nouveau de rigueur.
 

Evguenia Dereviankine, Avocat associée, UGGC AVOCATS


 
Source : Actualités du droit